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serie Severance

Dans le paysage audiovisuel, de nombreuses séries explorent les univers dystopiques et les enjeux sociétaux de notre époque. L’une d’elles, « Severance », a particulièrement attiré mon attention. Cette série télévisée américaine, créée par Dan Erickson et réalisée par Ben Stiller, nous plonge dans un monde où le travail et la vie privée sont séparés de manière radicale et chirurgicale. C’est sans aucun doute, pour moi, la meilleure série que j’ai vue en 2022 car elle rassemble de nombreux thèmes qui m’intéressent et que je travaille régulièrement dans ma pratique de coaching professionnel.

Elle met en scène le monde du travail et y parle de dissociation, de souffrance au travail, de traumatisme, de quête de sens, de rôles, de la question du choix ou du non-choix, de libre arbitre, de l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, de harcèlement moral, de la déshumanisation, du conflit intérieur… Tout un programme !

Si vous ne l’avez pas vue, je vous la recommande chaudement. Le synopsis est simple mais terriblement efficace pour nous faire réfléchir à tous ces sujets.

La dissociation pour une vie sans souffrance au travail ?

La série se situe dans un futur proche où il est désormais possible de séparer la personnalité professionnelle et donc la vie professionnelle de sa vie personnelle. A l’aide d’une intervention chirurgicale, on crée une dissociation chez l’individu (consentant) qui empêche tout continuum de l’expérience de vie.

Le personnage principal Mark (interprété par Adam Scott) est un employé d’une grande entreprise appelée Lumen Industries. Mark a choisi la dissociation pour des raisons personnelles qu’on découvrira au cours de la série.

La procédure crée deux mondes distincts avec des réalités vécues de manière indépendante, sans porosité. Ainsi on voit, Mark, devenir un « Inter » en rejoignant son poste de travail. Sa réalité est uniquement constituée de sa vie professionnelle : des tâches visiblement absurdes (du point de vue du spectateur) qu’il réalise toute la journée au service « Raffinement des macrodonnées », des interactions avec ses collègues tous (ou presque) « Inters » comme lui, et des interactions humiliantes voire dégradantes avec des managers ou des collaborateurs transversaux. Il n’a aucun souvenir de son « exter » : cette part de lui qui vit à l’extérieur de Lumen Industries et qui a choisi de vivre dissocié.

Bien entendu, l’ « exter » de Mark ne garde aucun souvenir de ce qui est vécu par l’ « inter », mais progressivement les deux parties du personnage cherchent à comprendre et à se rejoindre.

Fin de la souffrance au travail avec la procédure  Severance !

La manière dont la dissociation est traitée par Severance m’a vraiment intéressée. Là où dans mon métier, nous savons que la dissociation est un mécanisme de défense et de protection de la psyché, elle est proposée aux employés de Lumen industries comme une avancée, une procédure favorisant le bien-être et elle permet de garantir une confidentialité absolue pour les projets de l’entreprise.

C’est la solution idéale pour vivre pleinement sa vie personnelle sans être pollué par la vie professionnelle. Exit la souffrance au travail ! Choisissez la dissociation et vous n’aurez plus à travailler un seul jour de votre vie !

Terrifiant !

La série aborde de manière audacieuse les thèmes de l’aliénation au travail, de la perte d’identité et de la déshumanisation croissante des employés dans un monde où la technologie prend le pas sur l’humain. Elle dépeint un futur sombre où la frontière entre l’individu et l’entreprise est de plus en plus floue, et où la quête de la réussite professionnelle et de la rentabilité engendre des conséquences désastreuses sur notre bien-être et notre humanité.

La série pose alors la question du libre-arbitre, du choix et de la quête de sens. Faut-il accepter un travail parce que le salaire ou les avantages sont intéressants quitte à perdre son identité ? Faut-il accepter de réaliser des tâches ingrates et absurdes sans vision globale du projet ?

C’est ce que les personnages acceptent de faire dans leur univers stérile et aseptisé sous l’œil des caméras de surveillance. L’esthétisme de la série est si génial qu’il nous fait penser que chaque personnage est un rat dans un labyrinthe.

Dans Severance, Mark choisit la dissociation pour soulager sa douleur psychique et émotionnelle issue de sa vie personnelle. C’est une décision qui lui permet de continuer à vivre une vie relativement normale tout en limitant son temps de souffrance personnelle.

Pourtant, si son « inter » n’a aucune idée de la souffrance de son « Exter », l « Inter » finit par comprendre qu’il se passe des choses étranges dans son entreprise, notamment avec l’arrivée d’une nouvelle collaboratrice qui refuse d’être une « Inter » et qui questionne le consentement de son « Exter » quant à sa dissociation.

L’ « inter » est coincée dans son environnement professionnel et n’a d’autre choix que de se soumettre à son « exter » créant ainsi une relation de subordination : l’inter est l’esclave d’elle-même.

On voit parfois ce type de comportement dans la vraie vie, lorsque certains de nos clients sont en situation de surmenage. Au-delà de l’organisation dysfonctionnelle de l’entreprise et des contraintes extérieures, il arrive que c’est le dialogue intérieur du client qui l’oblige à se conduire d’une manière néfaste pour lui-même : des parts du soi l’obligent à devenir l’esclave de lui-même.

cerveau avec sous personnalités

 

Severance et le concept de « Sous personnalités » de l’IFS : une dissociation impossible

En coaching et comme en thérapie brève, je travaille notamment avec l’approche thérapeutique de Richard Schwartz : L’Internal Family System (IFS). Cette approche est basée sur l’idée que chaque individu possède plusieurs parties, ou « sous-personnalités », qui ont des émotions, des comportements et des croyances distinctes. Le but de l’IFS est de permettre aux individus de mieux comprendre et d’harmoniser ces différentes parties de leur psyché.

Dans l’IFS, chaque partie de la psyché est considérée comme ayant une intention positive, même si cette intention peut être mal adaptée où nuisible. Les différentes parties de la psyché sont souvent représentées par des métaphores, telles que des « protecteurs », des « exilés », des « enfants intérieurs » ou des « critiques intérieurs ». Les protecteurs sont des parties qui cherchent à protéger l’individu contre les émotions ou les situations difficiles, tandis que les exilés sont des parties qui ont été blessées par des événements traumatisants dans le passé.

Un accompagnement en IFS cherche à apporter du confort dans l’organisation de la psyché en réassociant les parties de soi en souffrance. Nous ne cherchons pas à dissocier mais à accueillir toutes les parties de l’individu en développant le SOI ou SELF.

Dans la série, la dissociation entre la vie professionnelle et personnelle est poussée à l’extrême, avec une séparation chirurgicale du cerveau. Cependant, l’IFS nous montre que notre psyché est interconnectée et que les différentes parties de notre esprit sont en interaction constante pour maintenir un équilibre. Ainsi, une séparation radicale comme celle proposée dans la série serait impossible dans la vie actuelle, car elle irait à l’encontre de la nature même de notre fonctionnement psychologique.

De plus, la dissociation proposée par la série pose des problèmes éthiques majeurs : les employés ne sont pas conscients de leur vie au travail une fois rentrés chez eux et vice versa, ce qui génère une perte de contrôle sur leur propre existence. Cette séparation va à l’encontre des principes de l’autonomie et du libre arbitre, qui sont fondamentaux pour notre bien-être et notre épanouissement en en tant qu’individus.

 

La dissociation de Severance peut-elle être possible à l’avenir ?

Le neurochirurgien consulté dans le cadre de la série suggère que cela pourrait être plus proche que nous ne le pensons. Nous disposons par exemple de bras robotisés contrôlés par des puces à l’intérieur du cerveau, et de patients capables de communiquer par la pensée grâce à des dispositifs similaires. Les techniques d’optogénétique, qui peuvent être utilisées pour activer et désactiver des souvenirs spécifiques chez les rongeurs, constituent peut-être un parallèle encore plus proche.

Cependant, compte tenu de ce que nous savons de la complexité de la mémoire, il semble peu probable que l’on puisse séparer complètement un ensemble de souvenirs conscients d’un autre, non seulement en raison des limites scientifiques, mais aussi pour des raisons éthiques.

Avez-vous vu cette série ? Qu’en avez vous pensé ?

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